lundi 25 avril 2016

La rencontre



   Tu avais ta vie et j'avais la mienne, en parallèle l'une de l'autre sans jamais ne devoir se croiser qu'à l'infini, et puis l'infini, dis, c'est loin. Oh, on s'était déjà croisées plusieurs fois en fait, comme ces trains qui partent d'un point A pour aller à un point B et repartent ensuite dans l'autre sens, mais jamais au même moment et jamais sur la même voie, et heureusement, sinon tu imagines le choc frontal ?

   Et puis parfois au détour d'une rencontre improbable orchestrée par un hasard incertain tout bascule.
Je me souviens de nos premiers échanges, on s'était présentées, je te trouvais sympa, avec du caractère, on avait parlé de nos combats respectifs, de nos vies, on avait dû refaire le monde quelques fois, autour de quelques vers ou en prose, selon l'humeur du moment.

Et ensuite il y avait eu ce jour, ou plutôt cette nuit (qui a dit que tout est plus facile la nuit ?) où tu avais voulu me faire partager ton rêve, illustré d'une photo pas très sage de toi, plus belle et plus équivoque qu'une estampe de Kitagawa Utamaro. Je ne voulais pas comprendre, je me refusais d'admettre que ça puisse être vrai.



   Toi, si sublime de perfection féminine, tant tellement "too much" que c'en était trop, c'était bien toi qui venait à cet instant de me faire croire que les battements de mon coeur qui s'emballait chaque fois que je te voyais connectée, ce trouble que je n'osais pas nommer, avaient pu trouver un écho en toi, toi, si douloureusement inaccessible dans ton hétérosexualité ?

Aucune chance, ça devait juste être un délire, et tu connaissais ma situation.

    Je t'avais fait part de mon incompréhension, puis très vite le temps des questions, que tu n'avais pas éludées d'une pirouette. Tu m'avais parlé de cette espèce d'attirance inexplicable que tu avais envers moi, te dévoilant peu à peu, faisant sauter une à une les barrières virtuelles que nos échanges virtuels nous imposaient.

   Puis les jours suivants, ta voix au téléphone, cette voix que j'aimais tant entendre, comme si tu étais tout près de moi, enfin seulement un peu plus près, pas aussi près que lors de notre première rencontre, celle qui devait se faire à la terrasse d'un café comme je te l'avais proposé au tout début, profitant d'un de mes passages vers chez toi, en tout bien tout honneur...l'honneur de te rencontrer, tout le bien de te voir.

   Cette rencontre n'aurait plus lieu, du moins pas comme ça, pas après tout ce qu'on avait partagé ensuite, nos promesses, nos envies, nos appels qui duraient des heures, et puis la terrasse des cafés c'était dangereux à l'époque, et puis il pleuvait, il faisait froid, et puis, et puis...et puis cette autre réalité issue de notre virtualité n'y aurait plus eu sa place de toutes façons.

   C'est ainsi que je m'étais présentée à toi en ce jour que nous n'en pouvions plus d'attendre, qui provoquait ce manque physique de toi, cette souffrance sourde à chaque fois que tu te déconnectais, cette impression ténue que le fil était rompu, ce lien fragile de ton fil d'Ariane qui devait me guider jusqu'à toi. Je me souviens avoir pris ta main dans la mienne et à partir de cet instant tout s'était emballé. Mon dieu, ce jour béni des dieux, même s'ils n'existent pas, et la preuve la plus formelle m'en avait été donnée par toi, ma Déesse, ma Vénus au doux parfum d'Aphrodite, ce jour que nous avions prolongé jusqu'au bout de la nuit, enlacées toi et moi comme au tout premier matin du Monde et de ses origines, comme l'Origine du Monde, impudiques mais heureuses.


Et quand au matin calme de ta chambre aux fenêtres encore embuées de nos soupirs de la veille, après avoir doucement ouvert les yeux de peur d'avoir encore trop rêvé, je t'avais vue ouvrir les tiens, et nos regards s'étaient à nouveau croisés, plongeant au fond de nos âmes enfin devenues soeurs, nos lèvres s'étaient encore cherchées le temps d'un battement de tes cils et nous avions continué à nous aimer, encore et encore, voleuses de nos feux trop longtemps gardés cachés, Prométhées voulant dérober quelques instants d'éternité à la course folle du temps, reculant toujours le moment de notre séparation aussi douloureuse qu'une nuée de vautours dévorant nos foies.


Tout au long de la route qui m'éloignait de toi, je n'avais que ton dernier "je t'aime" qui résonnait dans ma tête, avec cette douce promesse de nous revoir au plus vite.

Tu avais chamboulé ma vie et j'étais folle de toi...je crois bien que je t'aimais...mais tout à une fin.


© Les Contes Oniriques, 2016
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