mardi 26 avril 2016

Histoire d'O.





Laissez-moi vous narrer la véridique histoire d'O.

O. naquît il y a bien des années de cela, dans un monde à mille lieues du vrai monde où l'on s'ennuie, situé tout à côté de celui de Rêverose, où les fées et les princesses côtoient les dragons androgynes, où la course du temps n'est qu'illusoire et ne dure que le temps des illusions. Vagabonde des limbes, voyageur de la Guilde repliant l'espace et le temps, usant pour cela de l'Epice mélange, mélange des genres, flirtant avec les créatures oniriques issues de son esprit enfiévré, O. décida de rester de l'autre côté de la frontière de l'enfance, contrée peuplée de lapins blancs, de dames de coeur et de rivières enchantées.


La vie s'écoulait ainsi, paisible, sereine, insouciante, et O. cueillait ces morceaux d'éternité arrachés à la fureur du monde qui l'entourait et l'isolait peu à peu, sans s'en rendre compte, imperceptiblement, sournoisement, telles ces fleurs carnivores qui se replient doucement sur leurs proies sans qu'elles n'y prennent garde.

Lentement, à son insu, le piège se refermait inexorablement, privant O. de toute échappatoire, empêchant toute retraite, lui interdisant toute fuite, jusqu'à ce que son univers parte en lambeaux, voiles déchirés, ailes brisées, chairs meurtries aux os broyés par l'implacable vérité qui surgissait du néant et envahissait tout son être. Son monde avait vécu. D'aucuns diraient qu'il avait vécu ce que vivent les roses, un souffle, un soupir, un battement de cils.


Cependant, une lueur d'espoir commençait à poindre au coeur des ténèbres, minuscule étincelle puis flamme encore vacillante, fragile lumière nimbée d'un halo de brume, puis feu de joie qui illumine et réchauffe le corps et l'âme du voyageur égaré dans la tempête, parcourant la lande par des nuits sans Lune, le visage meurtri par les embruns et giflé par le vent.

O. venait de découvrir un havre, ou pour le moins un refuge, fait de songes, un endroit virtuel en apparence mais qui allait lui permettre de continuer à vivre un temps sa vie, au travers de ses fantasmes dérisoires, mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, et O. n'avait de cesse de s'enivrer tant et plus, pour ne pas mourir, pour exister autrement.

O. prolongeait ainsi son existence, à cheval sur deux mondes, entre deux eaux, à la fois indomptable et fragile, deux facettes opposées d'une même pièce s'évertuant à tenir sur la tranche, versant parfois d'un côté ou de l'autre au gré des aléas de ses deux vies. Pauvre O. , j'imagine assez les tourments dont tu as pu souffrir, les idées noires qui ont dû te traverser l'esprit, tous ces revers de fortune dont tu me parlais, aussi bien dans le monde réel que dans le virtuel, mais là pas de pilule bleue ou rouge pour t'aider à faire un choix.

C'est alors que, par une savante alchimie dont seuls ceux qui arrivent à vivre leurs rêves connaissent le secret, O. eut la chance de pouvoir renaître de ses cendres, comme le Phénix de la légende, ou plutôt devrais-je dire que O. eut enfin la volonté de franchir le miroir, de passer de l'autre côté des songes, où l'impossible devient possible, là où le réel le dispute au virtuel et en sort gagnant.


C'est à peu près à cette époque que j'ai fait la connaissance d'O., en fait un peu avant, mais quelle importance ? Depuis, ma vie aussi a changé, elle est devenue plus compliquée mais à la fois plus intense, plus difficile car plus authentique, et si j'emprunte le même chemin que O., si je marche dans ses traces, c'est tout simplement grâce à elle, car elle a su à son tour me guider au coeur de mes nuits.



(clin d'oeil à Dany, Thiéfaine, et Herbert)

© Les Contes Oniriques, 2016
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