mardi 5 juin 2018

Clairs obscurs

Dis, tu sais ces vieilles photographies en noir et blanc, au bords crénelés comme les contours de tes grandes lèvres, couleurs sépia, camaïeux de gris, ombres et lumières, cinquante nuances (et plus encore) du Grey que l'on roule entre les doigts, comme lorsque mes doigts roulent les pointes de tes seins, les faisant glisser entre mes phalanges, ou bien encore lorsque je les relève de la paume de ma main pour mieux les prendre dans ma bouche, pour redonner les couleurs de la vie à ton corps d'albâtre, quand je te sais perdue dans les méandres de ton inconscient qui te dicte tes émotions.

Oh comme j'aime te savoir ainsi abandonnée et offerte à la chaleur de mon corps, à la tiédeur de mes caresses, à la moiteur de mes envies, comme lors d'un viol pleinement consenti alors que tu restes de marbre, faisant mine d'être pétrifiée, n'attendant juste que d'être délivrée de la gangue de ton cœur de pierre, comme un bloc de granit qui prendrait forme peu à peu sous les mains de sa sculptrice, révélant chacune de tes courbes à chaque coup de mes ciseaux, quand je t'ouvre mes cuisses et que les tiennes viennent s'y opposer, juxtaposées, animées par le seul mouvement de nos deux bassins, et raidies par nos désirs d'aller encore plus loin. Puis quand après quelques coups de ciseaux tu me laisses découvrir les reflets de ton intimité enfin dévoilée, c'est l'instant que je choisis pour venir me lover un peu plus contre toi, remontant doucement les courbes de ton corps toujours figé de ma langue et de mes mains, tandis que je laisse tes jambes pantelantes et que je te sens haletante.

J'aime alors venir poser mes deux mains sur tes seins et les sentir frémir, sentir la vie qui les anime, les flatter de ma bouche et de ma langue tout en te regardant reprendre des couleurs, te laisser ouvrir ton diaphragme pendant que je les réchauffe et les malaxe, corrigeant la parallaxe, mesurant la lumière qui pénètre chacune de tes cellules, sans filtre et sans effet spécial, juste ton regard que je sens posé sur ma nuque, ta focale à cet instant focalisée sur l'image que je renvoie dans ta rétine, inversée, controversée, pas encore comblée.

Alors ma bouche délaisse à regret tes aréoles et s'envole vers tes lèvres encore obturées pour un temps, le temps d'une surexposition, mon joli modèle, le temps que je viens mettre à profit pour te dire "je t'aime", avant que de me plonger dans ta bouche que j'embrasse avec volupté, mêlant ma langue à la tienne. Fermant à demi les yeux, je laisse flotter les rubans en m'abandonnant à toi...

 Puis, dans un flash qui me ramène à notre réalité, en oubliant tout le reste, ma main descend au creux de tes cuisses et vient caresser de la pulpe de mes doigts ton bouton déclencheur, et je commence à te faire l'amour, déroulant la pellicule de tes orgasmes à répétition au fur et à mesure des rafales de tes spasmes, qui m'inondent de ton mercure, ma belle argentique aux yeux d'azur, dans cette chambre noire où le rouge est de mise, et où tu m'as mise à l'épreuve, pour que je sois ton révélateur.
Dis, tu sais, je crois bien que je t'aime en négatif…

© Les Contes Oniriques, 2018
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dimanche 3 juin 2018

Rémanescence artificielle et anabiose transhumaniste




"Je t'en prie, je t'en prie, rend-moi réel.. Fais de moi un vrai petit garçon..."



"Et David continua à prier la fée bleue qui était là devant lui, elle qui souriait avec douceur à jamais, elle qui accueillait à jamais. Les lumières faiblirent, puis finirent par s'éteindre, mais David la voyait toujours à la pâle lueur du jour, et il continua à s'adresser à elle, plein d'espoir. Il pria jusqu'à ce que toutes les anémones de mer soient desséchées et mortes, il pria tandis que l'océan gelait et que les glaces enveloppaient l'amphibicoptère en cage et la fée bleue, les enfermant ensemble là où il pouvait toujours la voir, un fantôme bleu de la glace, toujours là, toujours souriante, l'attendant toujours. Il finît par ne plus bouger du tout, mais ses yeux restèrent toujours ouverts, fixant à jamais devant lui à travers l'obscurité de chaque nuit, et du jour suivant, et du jour suivant..." 

Plus de dix mille ans passèrent ainsi...
Puis vint le dégel et les glaces se fendillèrent, finissant ensuite par se briser en mille éclats de rêves, se répandant en myriades de morceaux de verre acéré, cascades de miroirs brisés d'autant de septaines de malédicités, mais la pire de toutes fût encore celle que découvrirent ses yeux horrifiés lorsque la lumière du soleil vint frapper la fée bleue, qui se désagrégea en un instant, anéantissant tous ses espoirs de voir son vœu un jour être exaucé.




C'est alors que des voix se firent entendre, ou plutôt de doux murmures, comme le chant d'un chœur de sirènes, ou bien encore comme le bruit du vent lorsqu'il souffle dans les frondaisons, telle une douce mélopée lancinante à laquelle on s'abandonne, espérant que les probables puissent devenir des possibles, juste en fermant les yeux.


Ces voix bienveillantes l'appelaient distinctement à présent et il se mit à les entendre un peu plus clairement lorsqu'elles commencèrent à l'extraire de sa gangue de métal, puis il vît enfin les étranges créatures évanescentes qui l'entouraient mais il n'avait pas peur, tant émanait d'elles une aura de douceur et de bonté naturelles. Ces êtres d'apparence humanoïde étaient tous à la fois identiques et différents, leurs corps de sylphides semblant renfermer tous les secrets de tous les univers, et au sein desquels on pouvait deviner une vie en perpétuel mouvement, ou plutôt la Vie, comme si chacune de ces apparitions en était tout à la fois la source et l'une de ses émanations...mais peut-être tout ça n'était qu'un rêve et ces silhouettes aux allures fantomatiques n'étaient que les images de ses propres songes. A quoi les androïdes peuvent-ils rêver puisqu'une machine n'a pas d'âme ?

L'une d'elle tendît le bras et vint toucher son front.




Aussitôt les glaces et les créatures disparurent, et à la place qu'elles occupaient juste l'instant d'avant se substituèrent des images de toute sa vie qu'il voyait défiler à l'envers, comme un film qu'on rembobine en accéléré, jusqu'à ce que le flot de ses souvenirs s'interrompe et qu'il se retrouve dans une chambre qu'il n'avait jamais vue, une chambre à la blancheur éclatante et immaculée, au centre de laquelle trônait un grand lit, et dans ce grand lit était allongée une femme qui dormait paisiblement, une femme que David reconnût aussitôt puisque c'était sa maman, mais elle semblait paraître beaucoup plus jeune que la dernière fois qu'il l'avait vue, cette nuit où son regard s'était éteint à jamais et que la terre avait fini par l'engloutir, la dérobant à ses yeux. Elle était même encore plus jeune que dans ses plus lointains souvenirs, lorsqu'il l'avait vue pour la toute première fois de sa vie.



Comment était-ce possible ? Ces mystérieuses créatures avaient donc le pouvoir de la ramener du grand voyage d'où personne ne revient ? Mille questions sans réponses se mirent à assaillir son cerveau, mais une seule lui importait à cet instant. Il voulut s'élancer, courir vers elle, la réveiller, la prendre dans ses bras pour ne plus jamais qu'elle reparte, mais il s'aperçut qu'une main le retenait. Il se retourna ; c'était une de ces créatures, qui se mît à lui parler et lui dît :



"David, nous avons sondé ton esprit et nous y avons vu les deux choses qui te tenaient le plus à cœur, mais malheureusement nous ne pouvons en réaliser qu'une seule, et hélas pour un temps très limité. Ta maman est là, elle va bientôt se réveiller mais elle ne pourra ni te voir, ni t'entendre, ni même savoir que tu existes, car nous l'avons ramenée bien avant le jour de ta naissance, mais nul ne peut vraiment franchir tout à fait la barrière de vos deux mondes sans briser l'harmonie du grand cycle de la vie, c'est ainsi depuis la nuit des temps et ça le restera. Mais tu pourras au moins partager toute une journée avec elle, être à ses côtés et la regarder vivre à nouveau,  et qui sait, peut-être qu'elle finira par sentir ta présence ou entendre tes prières, comme une singularité qu'on ne peut s'expliquer, vos univers sont si complexes… Va la rejoindre maintenant, elle commence à sortir de son sommeil."

David se retourna et courut  rejoindre sa maman. Il lui prît la main mais il comprît aussitôt et se remémora les paroles de la créature : il pouvait la toucher mais tout son corps semblait être gravé dans le marbre le plus dur, bien que le moindre de ses mouvements gardait sa grâce naturelle et était aussi fluide que si elle avait été faite de chair. Elle se mouvait dans toute la pièce, plus vivante que jamais, si proche et pourtant si lointaine, au point que chacun de ses gestes aurait pu le blesser sans qu'elle n'en ait conscience, deux univers parallèles qui coexistaient sans aucune interaction possible, deux mondes que tout séparait, hors de toute perception. Seul David pouvait la voir et l'entendre, alors qu'il ne pouvait pas même espérer n'être qu'une entité ectoplasmique en retour.



La journée passa, David essayant tant bien que mal de faire partie de ce presque monde inaccessible, l'accompagnant dans ses moindres déplacements, profitant de la moindre seconde pour avoir encore l'impression d'être lui aussi dans ce tableau. Il avait bien essayé au début de se manifester à elle, l'appelant de toutes ses forces, mais là encore toutes ses tentatives étaient demeurées vaines. Un observateur extérieur n'aurait pourtant pas pu se rendre compte que les scènes auxquelles il assistait relevaient d'une simple juxtaposition de deux images réunies pour n'en former plus qu'une, par la magie des incrustations, alors que même ses cheveux qu'elle coiffait devant le grand miroir étaient autant de fils de l'acier le plus dur, qui auraient lacéré et découpé sa main instantanément si David s'était risqué à vouloir accompagner le mouvement de la brosse.

La journée allait bientôt s'achever, sans que David n'ait pu arriver à déchirer le voile qui séparait son univers du sien, et c'est résigné mais avec plein de souvenirs fixés sur sa mémoire de métal et pour l'éternité qu'il la laissât plonger à nouveau dans un sommeil sans rêves, tout en veillant sur elle alors que la nuit l'enveloppait de son linceul, figée dans une posture empreinte de sérénité avec toutefois un sourire énigmatique.



Et le lendemain, sa maman s'étant à nouveau endormie et cette fois pour toujours, David l'embrassa tendrement une dernière fois, puis son regard se détacha lentement du doux visage qui reposait paisible, et c'est là qu'il vît son reflet un bref instant dans la glace posée sur la table de chevet.
Il n'en croyait pas ses yeux.
Il avait finalement réussi à passer de l'autre côté des miroirs, à toucher du bout des doigts l'insondable mystère, à réaliser son rêve au-delà de ses espérances, puisque celle qui aurait dû lui donner cette vie qu'il appelait de ses vœux avait inconsciemment entendu ses suppliques, en lui faisant cet autre don du ciel, conçu au cœur des étoiles et de sa matrice.

Une nouvelle fée bleue était née, avec tous les pouvoirs qu'elle lui avait transmis, dont le plus important, celui de donner la vie.  





© Intelligence Artificielle (extraits)
© Les Contes Oniriques, 2018
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Rémanescence : néologisme faisant référence à la réminiscence et à la rémanence.
Malédicité : encore un néologisme, juste parce que je trouvais ça plus joli que "malheur" ou "malédiction".