vendredi 9 février 2018

Pour qui sonne le glam



"Elle m'envoie des cartes postales de son asile
m'annonçant la nouvelle de son dernier combat
elle me dit que la nuit l'a rendue trop fragile
et qu'elle veut plus ramer pour d'autres Guernica
Et moi je lis ses lettres le soir dans la tempête
en buvant des cafés dans les stations-service
et je calcule en moi le poids de sa défaite
et je mesure le temps qui nous apoplexise
et je me dis stop
Mais je remonte mon col j'appuie sur le starter
et je vais voir ailleurs, encore plus loin ailleurs..."

(H.F. Thiéfaine)

Il est bientôt vingt heures mais je fais beaucoup moins jeune
Je piaffe et m'impatiente au fond des starting-blocks
Je m'arrête pour mater mes vautours qui déjeunent
et mes fleurs qui se tordent sous les électrochocs
Et je promène mon masque au fond de mes sacoches
avec le négatif de nos photos futures
Je mendie l'oxygène dans tout ce ciné moche
mais vends des compresseurs à des ladies-bromure

Je l'ai appelée...
Au bout du rouleau de la bouteille de scotch, mais je me suis souvenue que je n'aimais pas le whisky et il me le rend bien. Alors je l'ai appelée, la mine défaite, minée par mes défaites, meurtrie par mes meurtrissures, salie par mes salissures, brisée par mes brisures, crevée par ces crevures.
Elle m'a dit "passe vers 20h."
Je n'ai plus qu'à tuer le temps en faisant semblant de ne pas voir que c'est lui qui nous tue.

Il est bientôt vingt heures mais je fais beaucoup moins jeune.
Tant mieux. Elle me verra sans fard, sans charre, sans histoire.
Juste elle et moi, sans tout ce cinéma, ou alors celui d'Audiard, on ne se refait pas.
Et puis de toutes façons j'ai laissé mon rêve garé en double-file, alors quitte à me prendre un PV, j'aime autant être à l'Amande, même si je dois ensuite écoper d'une amende, et peu importe qu'elle soit salée du goût des larmes, j'aime trop celui suave et amer de mon doux extrait de cyanure aux grands yeux verts.

Il est bientôt vingt heures mais je fais beaucoup moins jeune.
Et si je n'y allais pas ? Le coup de la panne ? Moi qui suis déjà en panne des sens, une panne d'essence de plus ou de moins, quelle importance ? Mais elle m'attend, et elle est à dix pas, comme tout ce que je ne lui dis pas.
Tant pis. Et puis elle est ma seule amie. Tiens c'est vrai ça, la seule qui me reste ici, ici bas, tout en bas. Allez, courage, quelques marches et je suis déjà devant sa porte.

Il est bientôt vingt heures mais je fais beaucoup moins jeune.
Je sonne, elle vient m'ouvrir...envie de me jeter à son cou, de lâcher prise sous son emprise, je sais qu'elle est éprise, qu'elle était prise...marre de tous ces jeux de dupes. Elle est là, devant moi, moi la ci-devant... "Assieds-toi" me dit-elle, une fois dans sa véranda...mojito, téquila.
"Alors, qu'est-ce qui ne va pas ?"
Tout. Rien. Tout ou rien. Tout pour le tout, tout ça pour ça...l'envie subite de m'anéantir, d'en finir, un éclair, une seconde, et tout s'arrête, le calme après la tempête.

Il est déjà vingt heures et je fais encore moins jeune.
La merveilleuse et l'amère veilleuse...
Elle m'écoute vider mon sac, son regard plonge dans le mien...comme j'aimerais pouvoir me noyer dans le sien, plonger en elle...le sage n'a t'il pas dit que l'océan se noie dans une goutte de tendresse ? Alors imagine une vallée de larmes, une palanquée pour un palanquin, une apnée au fond de ses abîmes, ses abysses, ses délices.

Il est...quelle heure est-il déjà ? Vingt-et-une heures, tu crois ? Déjà !!!
"Allez ma puce, finis ton verre, on va faire un tour, balade sur le port, mais pas dans cet état."
Ah mince, dis, tu crois qu'elle a remarqué ?
"Je te laisse dix minutes pour te refaire une beauté, te préparer, tu sais où est la salle de bains."
Enfilade du couloir...la porte qui s'ouvre...et elle me laisse seule face au miroir...miroir aux alouettes.
J'aime bien sa douche...grande, à l'italienne, avec ses carreaux couleur chocolat que traverse une ligne de verre translucide aux reflets vert d'eau, et la grande pomme qui surplombe la cabine. Je m'adosse un instant à la paroi glacée en fermant les yeux comme si je voulais me fondre dans son décor, ne plus penser à rien...disparaître.

"Il est l'heure d'y aller, ma puce, tu es prête ?", vient-elle de dire après avoir ouvert la porte, puis elle ajoute, en me voyant ainsi : "Tu veux prendre une douche maintenant ?" dit-elle, interdite, ô combien. Pour toute réponse, j'ouvre le robinet en grand et la pluie se met à tomber en cascade, mouillant instantanément mes cheveux et mes vêtements, coulant le long de mes joues, ses gouttelettes se mélangeant aux miennes...
Elle s'est précipitée.
Je la sens tout contre moi, cherchant à endiguer le flot de ses mains fébriles en tentant de limiter les dégâts. Mais il est déjà trop tard, et puis je me suis déjà jetée à l'eau et elle aussi. Je l'enlace aussi intensément que je peux et viens coller ma bouche à la sienne, coupant de mes élans le sien.
Elle s'est arrêtée un instant, puis ses mains ont abandonné les robinets chromés, ne sachant plus quoi faire pour se libérer de mon étreinte. Elle les a posées sur mes hanches, comme dans la chanson, prête à me repousser, puis s'est ravisée, les faisant doucement glisser sur le côté, de son plein gré, m'a regardée, se laissant embrasser et enlacer sans jamais se lasser.
Je l'aime de tout mon être à cet instant de douce félicité et elle le sait, elle le sent. Elle est mon Pygmalion et moi sa Galathée, ma douce, ma tendre, mon adorée...

Le temps s'est arrêté et je fais beaucoup moins morte.
On s'est aimées.
Je la revois, je nous revois, laissant courir nos doigts sur nos deux peaux mouillées, agiles autant que fragiles, s'évertuant à trouver les secrets de nos carcans détrempés puis finir par les ôter, les jeter... Nues et trempées, on s'est enfin retrouvées, ruisselantes de nos désirs fous trop longtemps refoulés, assoiffées de nos envies trop longtemps masquées. Alors simplement on a fini par s'aimer, comme une évidence, nos mains courant et coulant tout le long de nos corps à la recherche de tout ce temps perdu, le disputant au filet d'eau, s'insinuant entre nos courbes et nos intimités, se jouant de nos méandres, de nos sillons, de nos vallées, tandis que nos langues entremêlées nous emportaient dans le tourbillon d'une sarabande effrénée, promises à des prémices de toutes autres promesses d'autres félicités.
Et puis elle a fini par interrompre le flot, s'emparant de deux serviettes qui n'attendaient plus que nous. On s'est séchées, un peu, juste ce qu'il faut, nous couvrant mutuellement, nous enveloppant beaucoup plus sûrement de tendresse féminine que de tissu-éponge, et puis elle a pris ma main et m'a emmenée dans sa chambre aux tons violine et au doux parfum de lavande, où son lit à baldaquin aux tentures de pourpre trônait en son centre, merveilleux autel qui nous tendait ses draps.
On s'est aimées.

Il est bientôt l'aurore de l'aube d'un jour nouveau et je suis encore en vie.


© Les contes oniriques, 2017
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